Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller avant le soleil et d’entendre un oiseau chanter seul dans l’obscurité, bientôt rejoint par un autre, puis un autre, jusqu’à ce que le jardin entier résonne d’un concert puissant ?
Ce n’est pas un joyeux désordre. C’est une symphonie réglée comme du papier à musique.
En Lorraine, comme partout dans nos régions tempérées, les oiseaux suivent un rituel immuable appelé le « Chœur de l’aube ». Si vous tendez l’oreille, vous découvrirez que chaque espèce entre en scène à une heure précise. Une véritable horloge naturelle qui ne dépend que d’une chose : la lumière.
Pourquoi un tel ordre ?
La règle est biologique : tout est une question de sensibilité à la lumière. Les oiseaux qui ont de grands yeux (comme le Rouge-gorge ou le Merle) captent les premières lueurs de l’aube bien avant les autres. Ils peuvent donc commencer à chanter et à défendre leur territoire alors qu’il fait encore sombre. Les espèces aux yeux plus petits, comme les fringillidés (pinsons, chardonnerets), doivent attendre que le soleil soit plus haut pour y voir clair et éviter les prédateurs.
Le programme du concert (au Printemps)
Si vous sortez près de vos haies ou dans votre jardin environ 1h30 avant le lever du soleil, voici l’ordre d’apparition des solistes.
(Les horaires sont donnés par rapport au lever du soleil).
1. Les Lève-tôt (H – 1h00 / H – 45 min)
C’est le moment du « solo ». Dans l’obscurité quasi totale, deux voix dominent :
-
Le Rouge-gorge : C’est souvent le premier. Son chant est cristallin, mélancolique, comme une cascade d’eau. Il n’a pas peur du noir.
-
Le Merle noir : Le véritable chef d’orchestre. Sa voix flûtée, grave et mélodieuse porte loin dans le silence du matin. Si vous l’entendez, l’aube n’est plus très loin.
2. L’Avant-scène (H – 30 min / H – 20 min)
Le ciel commence à bleuir, les formes des arbres se dessinent. La chorale s’agrandit :
-
La Grive musicienne : Puissante, elle répète ses phrases musicales deux ou trois fois.
-
Le Troglodyte mignon : Ne vous fiez pas à sa taille minuscule. Caché dans les broussailles de la haie, il explose littéralement avec un chant trillé, rapide et incroyablement fort pour son gabarit.
3. Le Lever de rideau (H – 15 min / H – 0 min)
La luminosité augmente rapidement. Les insectivores et les granivores se réveillent :
-
Les Mésanges (Charbonnière et Bleue) : Leur chant est plus rythmé, plus mécanique (le fameux « ti-tu ti-tu »).
-
Le Pinson des arbres : Il lance sa ritournelle descendante avec une petite fioriture finale énergique.
4. Le Grand Jour (Lever du soleil)
Une fois le soleil au-dessus de l’horizon, les derniers dormeurs émergent :
-
Le Moineau domestique et l’Étourneau : Ils attendent la pleine lumière pour commencer leurs bavardages sociaux.
Pourquoi votre haie est-elle cruciale ?
Pour entendre cette horloge, il faut des aiguilles… et donc des oiseaux ! C’est ici que la haie sauvageonne prend tout son sens. Une haie monospécifique (uniquement des thuyas, par exemple) n’attirera que peu d’espèces.
À l’inverse, une haie diversifiée, composée d’essences locales (aubépine, noisetier, sureau, prunellier…), offre le gîte et le couvert à toute cette troupe :
-
Le Troglodyte et le Rouge-gorge ont besoin des branchages bas et denses pour se cacher.
-
Le Merle cherche les vers au pied des arbustes.
-
Les Mésanges inspectent les branches à la recherche de chenilles.
Plus votre haie est sauvage et variée, plus votre « horloge » sera précise et riche en sonorités.
Le saviez-vous ?
En ville, comme à Metz, cette horloge peut être déréglée. La pollution lumineuse (lampadaires) trompe souvent les Rouges-gorges et les Merles qui peuvent se mettre à chanter en pleine nuit, croyant que l’aube est déjà là !
Conseil d’observation : Le meilleur moment pour écouter ce phénomène est le printemps (d’avril à juin), par un matin sans vent. Réglez votre réveil, ouvrez la fenêtre, et tentez de deviner l’heure sans regarder votre montre !
Pour aller plus loin : L’incroyable histoire des « Chanteurs d’oiseaux »
Si écouter cette horloge naturelle vous fascine, l’histoire de Jean Boucault et Johnny Rasse vous touchera droit au cœur.
Originaires de la Baie de Somme, ces deux amis d’enfance n’ont pas appris la musique dans des conservatoires, mais dans les marais et les bocages. Voisins, ils passaient leurs journées dehors, fascinés par les sons de la nature. Très vite, le simple fait d’écouter ne leur a plus suffi : il leur fallait répondre.
Dès leur plus jeune âge, ils ont commencé à imiter les cris et les chants des oiseaux qui peuplaient leur région. Sans appeaux, sans instruments, uniquement avec leur bouche, leurs mains et une maîtrise incroyable de leur souffle, ils ont appris « la langue des oiseaux ». Ils ne se contentent pas de siffler une mélodie ; ils reproduisent le timbre, le grain, l’émotion du chant, qu’il s’agisse du cri d’alerte d’un geai ou de la ritournelle amoureuse d’une fauvette.
Aujourd’hui devenus mondialement célèbres pour leurs spectacles poétiques, ils ont raconté leur parcours dans un livre passionnant : « Le plus beau métier du monde » (aux éditions Arthaud). Ils y expliquent comment cette connexion intime avec le sauvage a forgé leur vie.
Leur travail nous rappelle une chose essentielle : si l’on prend le temps d’écouter vraiment la nature, comme le fait une haie sauvageonne au petit matin, elle finit toujours par nous répondre.
